La vie n’est qu’une question de perspective

Imaginons une fourmi, sa vie est rythmée par le travail ordonné par la reine de son clan. Elle se lève tous les matins, pour aller exécuter ses tâches quotidiennes, guidée par son instinct de survie et par le commandement énergétique de sa reine. Son but, chaque jour est de fournir les ressources nécessaires au fonctionnement de la fourmilière, de protéger la reine, de se reproduire et de protéger la fourmilière, au péril de sa vie. Elle sait précisément ce qu’elle a à faire, elle ne réfléchit pas, elle le fait. Les problèmes, les catastrophes et les dangers sont quotidiens pour une fourmilière et pour une fourmi appartenant à la fourmilière, car les conditions extérieures et intérieures sont variables et imprévisibles. Chaque jour la fourmi fait face, prête à protéger, à lutter, à se battre pour exécuter pleinement ses tâches.

Levons la caméra, le point de vue, à quelques mètres au-dessus de la fourmilière. La fourmilière est grande, elle s’étale sur plusieurs mètres en longueur et en largeur, elle est composée de longs tunnels, avec différentes chambres, sous terre, ce qui est visible depuis la surface, puisque de gros tas de terre constituent les portes d’entrées de la fourmilière. La surface est chamboulée autour de la fourmilière, les plantes sont déracinées, la terre est remuée, on y trouve des élevages d’insectes qui sont ponctionnés vivants et mangés pour les ressources qu’ils apportent aux fourmis, tous les petits animaux vivants, miettes ou cadavres aux alentours sont emmenés par les fourmis, pour fournir des ressources. La fourmilière est parfaitement organisée, lorsque tout va bien, chacune suit son chemin, chacune sait où elle doit aller car des signaux visibles ou invisibles sont laissés par les éclaireurs pour montrer le chemin aux autres, afin qu’elles retrouvent toujours leur chemin. Lorsqu’un évènement vient chambouler toute leur organisation comme un humain ou un animal qui marche sur leur fourmilière ou un incendie ou une inondation ou un prédateur qui vient les attaquer, la fourmilière est agitée, les fourmis ont peur, les fourmis renforcent la protection de la fourmilière et attaquent tout étranger, individu qui n’appartient pas à leur clan, même si ce sont également des fourmis, au point d’éliminer tout danger, toute menace, vivant ou non vivant, sans mesurer la gravité des faits, écarter la menace est leur seul but, guidées par la peur, par l’instinct de survie. Parfois des fourmis meurent, les corps sont ramenés par leurs congénères et traités dignement pour les accompagner de l’autre côté, parfois les corps sont sacrifiés, piétinés ou mangés, si cela sert le but de protéger la fourmilière, comme les radeaux de fourmis qui permettent à la reine de rester en vie, les soldats fourmis donnant leur vie pour protéger la reine.

Levons la caméra, le point de vue, quelques mètres au-dessus. La fourmilière n’est plus visible, les tas de terre remués paraissent se fondre au reste du sol, sans distinction par rapport au reste de l’endroit où elle se trouve. Les galeries souterraines ne sont même pas perceptibles et le paysage est ce qu’il est, avec ou sans fourmilière, une grande forêt, avec des arbres, de la terre, des plantes, des mousses, des lichens et des champignons qui poussent au ras du sol.

Levons la caméra, le point de vue, quelques kilomètres au-dessus. L’idée de voir une minuscule fourmilière qui existe à cet endroit, n’est même pas envisageable tellement la surface de la terre paraît lointaine et grande. Une grande étendue bleutée, avec des tâches vertes et marrons de formes irrégulières mais rassurantes sont visibles. Des reliefs apparaissent à certains endroits, des nuages lointains sous forme de brouillard au-dessus de la surface sont visibles.

Levons la caméra, le point de vue, quelques kilomètres au-dessus. La planète Terre paraît être un point bleu gris, sans relief apparent, flottant dans un vide interstellaire, avec d’autres points de tailles différentes, en fonction de la distance à laquelle ces différents astres se trouvent. Comment imaginer les problèmes d’une fourmilière et d’une fourmi de ce point de vue là, comment se plonger dans l’infiniment petit en étant dans l’infiniment grand, cela paraît être sans importance, non significatif, voire même inexistant.

Levons la caméra, le point de vue, beaucoup plus haut. La planète Terre n’est pas visible, les autres astres non plus, seul le vide est perçu, comme un océan d’énergie invisible, qui regroupe tout un tas d’informations perceptibles, mais tellement petites qu’on ne peut les voir. Ce vide n’est pas rien, ce vide est tout, puisqu’il contient un nombre incommensurable d’informations sous forme d’énergie, qui le constitue, mais on ne le voit pas, on est simplement cette énergie, sans forme particulière, qui contient toute l’énergie. C’est un endroit où l’on se sent riche de vie et de connaissances sur toute l’énergie que l’on est et qui nous constitue dans l’infiniment petit. On ressent tout ce qui se passe à l’intérieur de nous sans y porter aucune attention, dans un état de silence absolu où rien n’est visible, où aucune forme n’existe, où la notion de penser n’a plus lieu d’être car nous sommes juste cette énergie qui contient tout et nous la percevons naturellement en étant ce que l’on est. La notion de conscience n’existe plus car l’énergie est, sans lieu, sans temps, sans forme, sans pensée, sans action, juste dans l’être.

Pourtant la fourmilière et les fourmis existent, dans l’infiniment petit de ce vide absolu, elles en font partie, elles contribuent à l’existence de ce vide, de ce tout, elles ont énormément d’importance, elles ont leur place. Si la vie devient insupportable, pour une fourmi ou à l’échelle de toute une fourmilière, ou à l’échelle de toute une planète, ou à l’échelle de tout un univers, pourquoi continuer à se faire du mal, en plaçant toute son attention, sa conscience, son point de vue intérieur restreint avec ses œillères, sur un état de souffrance. Pourquoi concentrer son point de vue uniquement sur la fourmi qui se fait attaquer, la fourmilière qui subit des perturbations extérieures, la planète qui se fait maltraiter par ses habitants, l’univers qui reçoit de nombreuses distorsions, alors que l’on pourrait prendre de la hauteur, élever sa conscience, son point de vue dans un endroit où aucune souffrance n’est ressentie, où tout paraît sans importance, où l’on est détaché de tout, où la forme n’a plus d’importance, où l’on perçoit tout ce qui se passe, tout ce qui est, juste dans un état d’être hors conscience, dans le silence absolu à l’intérieur de soi. Cela même si nous nous trouvons dans le corps de la fourmi, de la fourmilière, de la planète ou de l’univers.